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Autoportrait
mardi 2 septembre 2014, par
Il est difficile de faire son autoportrait, surtout par écrit, c’est-à-dire sans interlocuteur direct qui pose les questions, oriente les définitions, projette son propre désir dans cette construction. Un autoportrait par écrit, cela oblige à se regarder seul...
Il est difficile de faire son autoportrait, surtout par écrit, c’est-à-dire sans interlocuteur direct qui pose les questions, oriente les définitions, projette son propre désir dans cette construction. Un autoportrait par écrit, cela oblige à se regarder seul, à se retourner sur son passé. Ce n’est pas forcément ce que l’on souhaite. On se demande si cela est vraiment intéressant pour soi et pour les autres. Et puis un portrait c’est un choix très subjectif. Que faut-il choisir pour se décrire ? Quels sont les critères que les lecteurs exigent pour connaître une personne ?
Se prêter à l’exercice est difficile et contre nature, douloureux même. Une angoisse folle. Que dois-je écrire ? Que dois-je dire, écrire, penser ? C’est une angoisse.
Ecrire un autoportrait c’est aussi angoissant que de travailler sur une pièce de danse. Ce moment plein de promesse et de désir mais chargé de doutes, de questions sans réponse. Bien sûr la création d’une pièce n’est pas que torture, heureusement, il y a tout de même de la joie, du partage, des rencontres, des fous rires. Alors serait-ce la même chose en écrivant son autoportrait ? Attraper un fou rire en écrivant sur soi ? Cela paraît inimaginable. Mais pourquoi pas après tout ? Essayons de rire en écrivant sur soi. Ecrire sur soi…
D’ailleurs, je n’ai pas de tatouage. J’ai toujours eu peur de me lasser de ces graphismes, de ces formes, de ces messages, de ces mots écrits définitivement sur soi. Quand je pense aux tatouages je pense à Dire Straits, le groupe de rock anglais que j’adorais quand j’étais adolescent. J’étais fan et je les ai vus en concert à Montauban avec ma copine de l’époque et son frère qui venait de se réconcilier avec sa copine et qui devint plus tard ma copine lorsque ma copine me quitta et que ma nouvelle copine quitta son frère. Et donc Dire Straits, j’adorais vraiment quand j’étais ado, ce qui faisait de moi d’ailleurs un ado en retard car le groupe anglais était déjà démodé… Je m’en suis rendu compte bien plus tard, que j’étais moi-même démodé, surtout quand ma copine m’a quitté d’ailleurs. Et là je me suis mis à détester le groupe anglais que je trouvais mielleux et petit-bourgeois. Voilà pourquoi je n’ai pas de tatouage !
Je sais que mes goûts sont variables dans le temps, je peux adorer une seconde et détester l’autre seconde. Alors imaginer une potentielle erreur sur soi, cela me paralyse. Je n’ai pas confiance en mon goût, comme dans la création d’une pièce de danse. Quand une idée m’emballe elle va forcément devenir détestable quelques temps plus tard. Parce que cette idée pendant les répétitions elle s’use peu à peu dans mon esprit, une lassitude s’installe. Un mouvement, une scène m’a plu lors d’une improvisation, un premier jet et puis ensuite les danseurs à cause de la fatigue, du manque d’inspiration n’arrivent plus à reproduire la spontanéité du geste, sa pertinence. Enfin c’est ce que je crois. D’où l’angoisse. C’est à ce moment là que l’on imagine la chirurgie esthétique. Cela doit exister l’effacement des tatouages. Je crois avoir vu dans un film japonais qu’un Yakusa repenti l’avait pratiqué, mais bon ce n’est pas facile et puis c’est douloureux. Et puis il reste forcement une cicatrice, qui en plus, a la forme du tatouage.
Alors c’est sûr le risque du définitif est trop grand pour être pris… Et cependant, je suis d’ailleurs injuste avec Dire Straits, aujourd’hui j’écoute avec beaucoup plus de nostalgie et de complaisance et puis Mark Knoffler est tout de même un génie de la guitare et finalement j’aime bien sa voix nonchalante. Cela voudrait dire qu’après la chirurgie esthétique je devrais refaire le tatouage ? Sur la cicatrice ou à côté ? L’angoisse.
Durant une création, il faut que je fasse cet effort permanent de mémoire des sensations. Quelle est, parmi toute la matière que l’on a trouvée et accumulée, celle qui m’avait procuré le plus d’émotions, qui m’avait donné le plus de sens ? Et oui je dois faire confiance à ces sensations initiales au moment de la découverte. Car le spectateur, lui sera dans la même position que moi dans ces premiers instants : il sera en position de découverte, de fraicheur prêt à accueillir cette surprise. Donc il faut refaire le tatouage à l’identique ce qui n’est pas facile. A quoi ressemblait-il ? Il faut que je retrouve une photo où il apparaît clairement. Le tatoueur a fait faillite après son overdose, il ne s’en est jamais remis et il est introuvable. Lui seul avait une photo fidèle. Ah non ! Je sais ! Mon ex-copine elle aussi avait une photo du tatouage en gros plan sur la plage. Il va falloir que je la recontacte. L’angoisse. J’hésite surtout que la photo, elle l’a peut-être jetée au feu. Et puis en plus je suis sûr qu’elle n’aime plus du tout Dire Straits, elle n’est pas nostalgique, définitivement. Bon je laisse tomber, je referai le tatouage en expliquant au tatoueur, le nouveau, ce que ma mémoire dit. Sur la cicatrice ou à côté ? De toute façon, il sera forcément différent dans les deux cas, un tatouage granuleux dans le premier, un tatouage exilé dans le deuxième. Et puis les muscles, la peau sont comme ma mémoire, ils flanchent. Alors il sera forcément différent ce geste, ce mouvement, ce ton qui est apparu lors de cette improvisation.
Elle était bonne cette idée de faire une pièce de danse sur un match de football, de faire une pièce de danse avec des musiciens et pas des danseurs ? Elle était bonne cette idée de m’enfermer dans une pièce et de danser dans 6 mètres carré sous 1 mètre 50 de hauteur de plafond ? D’appeler mon premier spectacle érection, ça va faire fuir tout le monde ? Dois-je proposer à Mark Knoffler de faire la musique de mon prochain spectacle ? Décidemment j’ai trop peur des tatouages, des papillons, des tortues, des étoiles, des tourbillons, des mots incompréhensibles écrits en mandarin, thaïlandais ou maori, des love for ever. Je n’ai toujours pas eu de fou-rires… Je vais peut-être vraiment me faire un tatouage, j’en ai toujours rêvé en fait. Allez je me lance, je me jette dans le vide, comme le jour d’une première, le jour où le public est là pour assister aux surprises de nos idées. Je vais écrire dans le dos Autoportrait, en Helvetica c’est ma typo préférée.