Pierre Rigal

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Photographier la danse

mardi 22 décembre 2015, par Nath

Texte de Pierre Rigal dans le livre "Photographier la danse" de Laurent Philippe et Rosita Boisseau (Nouvelles éditions La Scala)

Dans Asphalte, une séquence me fascine toujours. Le mur de lumière devant lequel les danseurs opèrent se transforme en un projecteur stroboscopique. Les flashes brefs et de grande intensité emmènent l’œil du spectateur à réagir comme l’obturateur d’un appareil photo. Sa rétine devient le support d’une image fixe : Julien Saint-Maximin sautant sur son dos avec la même fréquence que les flashes, se fait « attraper » en l’air par la lumière et crée l’illusion d’un mouvement arrêté, d’une lévitation. Consentant à l’hallucination, le spectateur assiste à la fixation photo-graphique d’une chute infinie. Un corps va se fracasser, va se fracasser, va se fracasser… La continuité du défilement de la vie joue avec le présent et flirte avec le « ça-a-été » de la photographie, comme le définit Roland Barthes dans La Chambre claire. Les images passées des corps chutant dans une rue, devant un immeuble, ont le temps de revenir à l’esprit. Ainsi cette photographie réalise de manière implacable l’utopie de notre scène. Elle fixe ce mouvement de suspension et met en valeur le paradoxe dont le danseur est la victime. En regardant cette image, un détail me perce, tel le « punctum » de Barthes. Le visage de Julien Saint-Maximin me révèle une grimace violente, une grimace que je lui connais bien, celle d’un effort intense et d’une folle détermination à vouloir s’élever désespérément dans les airs en sautant sur son dos. Je reconnais cet effort, que je dois moi aussi fournir lors d’une séquence similaire de mon solo érection. Il s’agit d’un effort de sacrifice : là où le danseur déploie toutes les énergies qui lui restent encore, le spectateur ne verra rien de ce mouvement. Il n’en verra qu’une trace immobile suspendue dans l’espace… une trace sans grimace.
Pierre Rigal.